vendredi 24 juin 2011

Le dos au mur / Je t'ai dans la peau / 93 LA BELLE REBELLE


Salle du CRDP - Julie Ramaïolli, cinéaste, membre des collectifs The B-Side et Film flamme
Face à face après la projection du film Le dos au mur.

Mercredi 22 juin 2011, LE DOS AU MUR
. Les circonstances m'ont fait prendre le film en cours de route. Incise au scalpel dans la cinématographie de Jean-Pierre Thorn. Des petites voitures tournent dans la nuit, lentement, en suivant des trajets étranges (je ne discerne pas encore qu'il s'agit de fenwicks à l'intérieur d'une usine occupée). Suivent d'autres scènes de pure émancipation. Des ouvriers promènent une table dans les rues de Saint-Ouen, réclamant des négociations avec la direction d'Allsthom. La Bourse de Paris est prise d'assaut, image cueillie d'un seul élan, montée dans sa durée. Le film m'apparaît comme une vague de musique et de chants, il avance par soubresauts, aux aguets. Cinéma de la vigilance et de l'abandon aux sensations.

J'ai dit précédemment l'impossibilité de discerner une mécanique formelle des films de Jean-Pierre Thorn, je précise : parce qu'il n'en existe pas une mais tout un réseau formant un système extrêmement complexe, d'une redoutable efficacité. A la fin de l'envoi, chacun est touché là où il doit l'être : au cœur, au corps, à la tête, au bout des doigts, au ventre, c'est selon... Une des bottes secrètes de ce cinéma de la sensation se trouve dans l'usage qui est fait de la bande-son. Les films fredonnent, chantent, bruissent, bruitisent. Ils se présentent comme des partitions, l'imaginaire musical couvrant un vaste répertoire bien ancré dans la mémoire collective : musique concrète, rock, blues, fanfare, chanson, opéra. Ainsi, il se produit pour le spectateur des téléportations qui "s'observent" habituellement dans des états de rêve : une sorte de navigation dont le vent porteur serait l'imagination. Donc, s'il devait y avoir un réalisme des films de Jean-Pierre Thorn, il serait celui des chansons dites réalistes, dont il n'est pas anodin de signaler qu'elles relèvent d'un genre musical apparu au début du XXe siècle, c'est-à-dire en même temps que le cinématographe. Ce réalisme est à entendre dans le sens d'un cheminement en intimité avec les gens qui sont filmés / chantés.

Temps fort de la discussion qui a suivi la projection du film Le dos au mur : le réalisateur décrit la manière dont il a fabriqué la bande-son." Pour telle scène, j'ai mis en boucle les slogans que crient les ouvriers parce que c'est à un moment où leur mouvement piétinait, et qu'eux-mêmes n'avaient rien de mieux à dire que de chanter à tue-tête des slogans qui ne voulaient plus rien dire". "Pour telle autre scène, j'ai ralenti la voix du gars pour en faire une bouillie informe parce que les mots qu'il disait étaient des mots de renoncement". "Avec mon ingé-son, on a eu envie de casser l'Internationale, parce qu'on en avait marre des grèves qui se terminent avec ce chant qui renvoie toujours à demain l'avènement de la révolution... Un soir, il a pris sa guitare et on a détourné l'Internationale vers un solo de Jimmy Hendrix !". Un spectateur avait demandé dix minutes auparavant au réalisateur s'il pensait que ses films étaient hip-hop. Il a eu sa réponse.

    Jeudi 23 juin 2011, JE T'AI DANS LA PEAU.
Jean-Pierre Thorn, qui doutait de son film, doit répondre à l'accueil enthousiaste du public du Polygone étoilé.
Une acclamation lui fut réservée quand il confia que cela lui donnait envie de refaire une autre fiction.

Salle comble au Polygone étoilé pour le seul long métrage fiction dans la filmographie de Jean-Pierre Thorn, tourné à Marseille en 1989. Le film commence avec le suicide de son héroïne, en préambule d'un retour sur sa vie, dans un long flash back couvrant trois décennies, de sa jeunesse jusqu'à son dernier souffle, c'est-à-dire ses derniers mots enregistrés sur la bande magnétique d'un magnétophone à cassette. Le scénario est inspiré de l'histoire vraie de Jeanne Rivière, religieuse devenue ouvrière, qui mit fin à sa vie quand elle fut exclue de son syndicat. La date du suicide interpelle : 10 mai 1981. Tout est dit là. En premier lieu, le traitement de défaveur subi par le film dans sa "distribution". Il serait temps de lever la censure dont il est l'objet depuis 20 ans. Au moment des primaires socialistes, ce serait plus qu'opportun. En finir avec le révisionnisme de la gauche éclairée qui se fait en direct contre ses propres troupes. Passons. Le cinéma de Jean-Pierre Thorn n'est arrêté par aucun énervement. Sa ligne d'horizon a l'étendue d'une colère infinie, et sa pensée en liberté ne cesse d'ouvrir de nouvelles voies de passage. Colère, mot toujours employé en deçà de sa signification, qu'il convient de replacer dans la dimension qui est la sienne, celle de la tragédie. Philippe Clévenot, acteur qui donne une réplique hallucinée à Solveig Daumartin, en avait perçu la mesure : pour lui ce film devait être interprété comme du Shakespeare.

Jean-Pierre Thorn lutte contre la fatalité, sachant pertinemment que cette dernière se définit par l'impossibilité d'empêcher la catastrophe annoncée de se produire. Le combat perdu d'avance ne l'est pourtant pas en pure perte. Il est épique. Sans cette dimension d'épopée, il serait dérisoire. La geste thornienne, lyrique, tragique, mélodramatique, romantique et mystique confère au film Je t'ai dans la peau une puissance d'expression aux limites de l'indicible. Jeanne Rivière, lancée à corps perdu au milieu d'une guerre d'hommes, rappelle une autre Jeanne. Sainte, folle, sorcière. Femme. Solveig Daumartin, encore dans l'aura du film Les ailes du désir, l'incarne avec une intranquillité qui échappe à son savoir-faire d'actrice. Son visage, son corps, sa voix sont littéralement possédés par son personnage, comme le titre du film le rappelle sans cesse : Je t'ai dans la peau. Comme les premiers mots de la chanson d'Edith Piaf le répètent jusqu'au vertige.



toi,
toujours toi
rien que toi,
partout toi
toi, toi, toi, toi...


Que dire de plus ? Ceci, peut-être : Jean-Pierre Thorn a choisi Solveig Daumartin pour sa voix. Aussi, la piste la plus fructueuse de notre réflexion nous dirige-t-elle naturellement vers la comédie musicale. Plus précisément au seuil de ce genre, les chansons sur le bout des lèvres, lieu de la plus grande originalité d'une œuvre qu'il est urgent de découvrir. Nous y reviendrons. Pour nous, cinéastes membres du collectif Film flamme, Je t'ai dans la peau n'est pas seulement un grand film méconnu. Il nous montre où se situe la ligne de fracture avec le système en place, qui fait payer au prix fort le choix de la liberté.

Vendredi 24 JUIN 2011 - 93, LA BELLE REBELLE




La rétrospective se termine avec la projection de 93 LA BELLE REBELLE à la cité de la Busserine. En première partie, un podium chauffé à blanc par les jeunes du quartier.

Lancement de la projection par un Jean-Pierre Thorn électrique !


Grand merci à The B-Side de nous avoir offert cette rétrospective qui a porté haut et chanté fort son nom Se révolter, Filmer.