samedi 30 octobre 2010

Un Sherlock pour le prix de deux


De la longue filmographie de Billy Wilder, je n'avais vu que deux films, les plus connus sans doute : Certains l'aiment chaud et Sabrina, auxquels il faut ajouter Sept ans de réflexion, film tout à fait oubliable, n'était l'envolée florale de la robe de Marilyn dans le courant d'air de la bouche de métro. Il convient également de reconnaître à Wilder un talent certain pour les titres : ainsi, suffit-il de lire Assurance sur la mort, la scandaleuse de Berlin, Boulevard du crépuscule ou Embrasse-moi, idiot pour avoir l'impression d'avoir vu ces films, au moins à la télévision, un jour de pluie. Mais, pour nous limiter aux deux films que je suis sûr d'avoir vu, je sais que Certains l'aiment chaud m'a laissé froid et n'éveille ce soir, dans mon souvenir, aucune espèce d'émotion, quand Sabrina occupe une place à part dans la liste des films que j'aime ; tellement à part que s'il me fallait dire quels étaient mes films préférés, il est probable que j'oublierais de citer celui-ci. Cela tient sans doute au fait que Sabrina n'est pas à proprement parler un film d'auteur, ni un film de producteur (ce qu'il est aussi, bien sûr), mais le film d'une actrice qu'il est impossible de dissocier de la personne. Tout le reste ne compte pas. Y compris le personnage.

Ce qui reste de Sabrina, c'est la tristesse d'une femme en devenir contenue dans la forme comédie. A Audrey Hepburn, il restait encore 39 années à vivre quand elle jouait le rôle de Sabrina. Marilyn était à trois ans de mourir quand elle jouait dans Certains l'aiment chaud, de là vient peut-être que toutes les scènes de comédie m'avaient semblé forcées. Or, cinq ans auparavant, elle jouait dans La Rivière sans retour une Kay Weston qui avait su, comme la Sabrina d'Audrey Hepburn, mêler intimement l'insouciance et la tristesse sans aucune hystérie.

La vie secrète de Sherlock Holmes, dont j'ai manqué les dix premières minutes, est modelé dans la même matière de tristesse et de comédie que
Sabrina. Mais je ne m'attendais à rien de tel, car c'est seulement après la projection que j'ai vu, dans le bar du Pestel (le cinéma de Die), le nom du réalisateur sur l'affiche du film.



Cela n'est pas sans me rappeler la fois où je me suis rendu dans un cinéma de Paris, ce qui suppose un minimum d'organisation, ne serait-ce que pour savoir quelle ligne de métro emprunter, pour voir La femme de l'aviateur, film d'Eric Rohmer que je n'ai finalement jamais vu, et pour cause : La femme de l'aviateur et La femme du boulanger se suivaient dans la liste des films du Pariscope, et c'est la tronche de Raimu qui est apparue sur l'écran, provoquant tant de stupeur dans mon esprit que je n'ai admis ma méprise qu'au prix d'un grand effort. Heureusement, suivant en cela le précepte d'Epictète, ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, il ne me fallut guère de temps pour me réjouir de l'occasion qui m'était donnée par la logique de l'alphabet de voir sur grand écran un film que je connaissais pour l'avoir vu plusieurs fois à la télévision un jour de pluie, etc. Si, ce jour-là, j'avais été trouvé mort dans mon fauteuil de spectateur, seul Sherlock Holmes aurait réussi à reconstituer le fil des événements. Il aurait sans mal appris mon attirance pour la femme-enfant Marie Rivière, il en aurait déduit que ce n'était pas pour l'enfant-femme Ginette Leclerc que j'étais venu à une heure singulière (séance de 14h) voir en solitaire le film de Pagnol en compagnie d'autres spectateurs solitaires qui étaient tous du troisième âge.

La vie privée de Sherlock Holmes est un film que je n'aurais probablement jamais vu si notre projet familial ne nous avait pas amené à venir vivre dans le Diois. Et si Le Pestel n'avait pas été le seul cinéma de tout le Diois, terre peuplée de dix mille habitants dispersés entre adrées et ubacs au pied d'un Vercors en cinemascope qui barre tout l'horizon nord. La sensation de sortir, je ne l'avais plus ressenti depuis longtemps, et sans doute l'avais-je perdu presque définitivement à Paris. Cela ne fait certes pas de Billy Wilder un grand cinéaste mais certainement de moi un grand spectateur, je veux dire comme le berger du film de Pagnol était un grand amateur de pain frais.
La vie privée de Sherlock Holmes redonne au spectateur un plaisir devenu rare : image 35 scope accouplée à du son mono. Le plaisir fut si grand que la copie donnait l'impression d'être neuve. En comparaison, Sherlock Holmes de Guy Ritchie, que j'ai vu dans la même soirée, dont j'avais vu quelques semaines auparavant le début en version téléchargée et sur un grand écran à cristaux liquides, son home video, image HD... le tout affreusement pixellisé, ce qui est devenu le standard d'aujourd'hui, la notion de première copie n'ayant plus cours depuis longtemps... bref, à défaut de trouver la fin de cette phrase, voici où je veux en venir : ce film a déjà vieilli. Il ressort de l'expérience que voir en fichier torrent piraté et dégradé le Sherlock 2010 est plein de promesses que la version 35 copie quasi neuve son dolby stéréo thx tsouin tsouin met à bas immédiatement. Quand Wilder abuse à bon escient de la musique pour accompagner ses nombreux mouvements de caméra, Ritchie fait du graphisme sonore comme un vulgaire réalisteur télé : coups de tonnerre pour marquer les changements de plans. Ce qui explique qu'il vaut mieux voir des extrait du film sur youtube avec une mauvaise connexion.
La grande idée du Sherlock 2010 est de lui donner un corps d'Athlète (ni plus ni moins qu'un corps d'acteur holliwoodien contemporain, ce qui en atténue aussi le mérite). Jude Law en Watson est un contre-emploi malin : on évite l'évidence d'un Law en Holmes, sans lui retirer le premier rôle puisque le doc vaut le détec. C'est à peu près tout. Tout le reste consiste à nous persuader qu'il faut rentrer dans l'image, à plonger dans le son, à nous laisser emporter par la fiction. On prenait moins soin du spectateur quand le train rentrait en gare de La Ciotat ! Et surtout, on avait moins peur de le perdre. Au bout d'une demi-heure, on est comme l'acquéreur d'un grand écran Sony full hd : on trouve que tous les films sont nuls mais que c'est vachement bien Questions pour un champion sur grand écran full hd.
Premier plan : plongée en mouvement sur la chaussée londonnienne, les noms des producteurs sont gravés sur les pavés (gravés comme un dvd)... dans la continuité du mouvement, pano vertical sur la perspective de la rue (gros son de rue XIXe siècle), une voiture hippomobile, la fenêtre de cette voiture, fin du plan à l'intérieur de la voiture, le tout en moins de temps qu'il n'en faut pour lire ma description... numérique et analogique mêlés, à moins que tout ne soit numérique...

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