samedi 30 octobre 2010

Ne change rien - Pedro Costa



Le plan-cigarette est une variété de plan séquence. Les techniciens du cinéma, les monteurs en particulier, savent à quel point il est difficile de gérer une scène avec cigarette (pour ceux, en tout cas, qui respectent la continuité chronologique d'une scène). Sur le plateau, au moment du tournage, c'est un casse-tête à faire faire des cauchemars aux scriptes dont le travail consiste à tout noter.
Pour compliquer les choses, cet objet consumant ne connaît pas la loi de la conservation des quantités : longue au début, courte à la fin. La cendre, quant à elle, s'allonge à mesure que raccourcit la cigarette, jusqu'à tomber quand la loi de la gravité s'applique et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'y ait plus assez de cigarette pour l'engendrer (l'encendrer). La fumée : à elle seule morceau de bravoure des chefs opérateurs. La braise : facétieuse, parfois tison ardent, parfois branche mouillée, feu qui refuse de prendre sans pour autant qu'on puisse le dire éteint.

Dans Ne change rien, il y a un plan-cigarette de toute beauté. Jeanne chante, sa tige à la main, qu'elle porte à la bouche une fois peut-être, qu'elle garde ensuite entre deux doigts jusqu'à la fin du plan sans plus la porter à la bouche. Une sorte de punctum appliqué à l'image en mouvement : on ne voit plus que la cigarette.

Quand ce plan a commencé, j'ai repensé à la fois où j'ai mesuré le temps qu'il me fallait pour fumer une cigarette (en condition normale, en aspirant tranquillement et régulièrement) : sept minutes.

C'est à peu près la mesure des plans de Pedro Costa dans Ne change rien.

Deux autres plans-cigarette ont retenu mon attention.

Un plan dans lequel deux femmes japonaises (qui sont-elles ?) sont filmées de face fumant leur cigarette. Cela dure le temps d'une demi-cigarette. Le plan est fixe. Elles sont devant une baie vitrée à travers laquelle on voit des voitures rouler : seul extérieur du film.

Un autre plan dans lequel Jeanne chante en fumant. On est tout près d'elle. On reste longtemps avec elle qui cherche la tonalité, les notes justes, le rythme, l'énergie du moment. La cendre grandit, grandit et, à l'instant où elle va se détacher, Jeanne va la déposer dans le cendrier. Ce dernier est hors-champ. Jeanne sort donc du champ. Cette sortie est très belle. La durée de son absence est d'une justesse absolue. Enfin, quand elle revient dans le champ, on reconnaît la grande actrice : son visage n'est plus le même, comme une comédienne de théâtre (ce qu'elle est aussi) sort de scène, à cour ou jardin, se change en coulisses avant de revenir transfigurée.


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